Introduction
L’actualité, les publications et les usages montrent que la nouvelle ère numérique n’est plus celle du simple tri d’informations, ni l’interaction des usagers entre eux devenus leurs propres acteurs au sein du système numérique, mais celle de l’autonomie des machines dites apprenantes. La masse incommensurable de données recueillies, associée à une considérable puissance de calcul permet désormais aux algorithmes de proposer rapidement des résultats étonnants, dont chacun peut à la fois percevoir un potentiel bénéfice et craindre les approximations. Il s’agit donc de nouveaux outils que l’on ne peut négliger, ignorer voire nier ; ils feront partie de demain et il faudra apprendre à en faire bon usage.
Quel est-il, ce bon usage ? Concernant le domaine éducatif notamment, quelles sont les pistes ou applications pédagogiques à privilégier ? Faut-il, par exemple, enseigner la « réserve » et mettre en garde face ces bots conçus et configurés par des sociétés privées, en montrant les erreurs, hallucinations ou dérives possibles ? Faut-il, sinon, enseigner les modalités d’utilisation et les usages pour recourir à ces IAGT au meilleur de leurs capacités et potentiels créatifs ? Les deux, ensemble, ou un juste milieu est-il envisageable ?
Les champs d’investigation liés à l’IAGT sont nombreux, le choix a donc été fait de cadrer les travaux en se limitant à la problématique suivante : « Dans le respect de la législation en la matière et avec le recul que nécessite l’utilisation de ces outils, dans quelle mesure les professeures documentalistes et les professeurs documentalistes peuvent-ils s’emparer des intelligences artificielles génératives de texte dans une optique de recherche et de vérification de l’information avec les élèves ? » Il s’agit d’éviter une approche techniciste de ces outils et de privilégier une approche plus réflexive sur le fonctionnement de ces outils et l’essence de la recherche d’information (auteur, source, etc.).
Dans le sillage de ChatGPT, l’année 2023 a marqué une percée puis une véritable démocratisation des modèles d’IAGT qui ont semblé susciter autant d’engouement que de craintes chez les différents acteurs du monde éducatif. Dans ce contexte, il est apparu évident aux membres du GEP Documentation de l’académie de Versailles de s’emparer de cette thématique en commençant cependant, avant toute élaboration de séance, par s’interroger sur la place des IAGT au sein de nos pratiques professionnelles et de celles des élèves. C’est pourquoi la conception, diffusion et analyse de deux sondages à destination des élèves, d’une part, et des professeurs, d’autre part, de l’académie ont été réalisées. Cela nous a permis d’identifier des indicateurs contextuels et des pistes pédagogiques afin notamment d’adapter notre enseignement sur les besoins ou carences en recherche documentaire et éducation aux médias et à l’information.
Vous retrouverez ainsi à l’issue de cet article les objectifs émergents pour l’année prochaine.
I - État de l’art
En commençant à travailler sur cette thématique, nous nous sommes demandés si nous n’étions pas victimes de notre propre bulle de filtre et si nous ne surestimions pas l’usage de ces IAGT par nos élèves. C’était justement une des conclusions de l’enquête menée en novembre 2023 par le site Compilatio auprès de 5600 enseignantes et enseignants et étudiantes et étudiants d’universités françaises [1]. On y lit que « Déjà la moitié (55 %) des étudiants déclarent utiliser un outil d’IAGT au moins occasionnellement » et par ailleurs que « 9 enseignants sur 10 (88 %) pensent que les étudiants ont recours aux intelligences artificielles pour leurs travaux ». Il nous paraît biaisé de comparer ces deux résultats, mais le fait que plus de la moitié des étudiants utilisent déjà au moins occasionnellement ces outils s’avérait tout de même intéressant. Cette utilisation est toutefois nettement plus massive si l’on en croit une étude menée plus récemment par le Pôle Léonard de Vinci auprès de ses étudiants [2]. Selon eux, 92 % de leurs étudiants ont une utilisation régulière des IAGT. Pour autant, qu’en est-il des élèves du secondaire ? Aucune étude ne permet pour le moment de déterminer quels sont leurs usages.
Le sondage de Compilatio relevait également que le moteur de recherche était encore largement plébiscité comme source principale de documentation pour la rédaction d’un travail (97 % des étudiants, dont 77 % en premier choix), bien devant l’IAGT (42 % tout de même, mais seulement 2 % en premier choix). Mais faut-il réellement distinguer les deux quand on voit Bing Search intégrer de plus en plus l’IA Copilot à ses résultats de recherche, tout comme Google Search avec Gemini ? Dans l’étude du Pôle Léonard de Vinci, c’est même 64 % des étudiants qui déclarent y faire des recherches comme dans un moteur de recherche.
A l’heure où nous publions les résultats de ce sondage, il n’existe pas, à notre connaissance, d’autre sondage portant les usages des IAGT par les collégiens et lycéens français, et rien de spécifique non plus sur les enseignants du secondaire en France.
II - Méthodologie
Conception des sondages
Il nous est assez vite apparu que les éléments que nous cherchions à sonder différaient entre les enseignants et les élèves. Plutôt que de créer un sondage unique à embranchements, plus complexe à réaliser et plus laborieux à dépouiller, nous avons pris le parti de créer deux sondages distincts.
Nous avons cependant opté pour une structure générale commune, en quatre points :
- présentation générale du sondé : âge et classe pour l’élève ; type(s) d’établissement(s), discipline(s) enseignée(s), tranche d’âge et ancienneté dans l’éducation nationale pour les enseignants ;
- connaissance des IAGT : partie commune entre les deux sondages, qui visait à déterminer si les participants ont déjà entendu parler des IAGT, à interroger leur capacité à définir ce terme et visant à s’accorder sur une définition commune avant de poursuivre le sondage ;
- usages des IAGT : fréquence d’utilisation, cadre d’utilisation et le type d’usages chez les élèves ; constat de l’utilisation en classe par les élèves mais aussi propre usage par les enseignants ;
- avantages et limites des IAGT : chez les élèves, avantages et limites dans l’utilisation de ces outils mais également confiance accordée à l’outil dans différentes situations ; chez les enseignants, avantages et limites de ces outils à la fois concernant sa propre utilisation et celle faite par les élèves.
Comme dans tout sondage, la difficulté était de proposer des questions suffisamment ouvertes pour balayer le champ des réponses mais suffisamment précises pour obtenir des réponses claires et exploitables et de laisser la possibilité aux élèves de s’exprimer pour obtenir des réponses « spontanées » et non systématiquement guidées.
Nous avons donc opté, dans la majorité des cas, pour des questions à choix multiples avec la possibilité, dans la réponse « Autre » de rédiger une réponse personnelle.
Choix du panel et diffusion
Au moment de définir le rayon de diffusion de ces sondages, nous avons réfléchi au meilleur dosage pour obtenir des échantillons suffisamment nombreux pour être représentatifs. Nous avons ainsi décidé de diffuser :
- le sondage élèves uniquement dans les bassins auxquels appartiennent les membres du GEP, à savoir Poissy-Sartrouville (78), Massy (91), Antony (92), Neuilly (92) et Enghien-les-Bains (95). Malgré ce nombre limité, cela permettait de toucher tous les départements de l’académie ;
- le sondage enseignants aux collègues de toute l’académie.
Pour éviter un mail collectif, nous avons compté sur le réseau des animatrices et animateurs de bassins (via leur coordinatrice Cécile Paoli, que nous remercions chaleureusement) pour relayer le sondage à l’ensemble des professeurs documentalistes de l’académie, qui se sont enfin chargés de faire suivre les sondages à leurs collègues et élèves.
Après leur diffusion le mardi 25 mars 2024, il était initialement prévu de clôturer les sondages le vendredi 5 avril, jour des vacances de Pâques de la zone C. Cependant, plusieurs attaques informatiques perpétrées à cette période ont entraîné la fermeture des messageries des Environnements Numérique de Travail (ENT), ce qui nous a contraint à retarder la clôture du sondage au vendredi 26 avril.
III - Profil des sondées et sondés
Malgré la décision de limiter le nombre de questions, un grand nombre de questionnaires n’ont pas été complétés. En effet, 1398 élèves ont pris la peine d’ouvrir et de débuter le sondage, mais 47 % d’entre eux ont abandonné avant la fin ! La durée de réponse au sondage était pourtant estimée entre 5 et 10 minutes mais il a été observé, par exemple, que nombre d’élèves se sont arrêtés dès qu’une réponse rédigée était demandée. Chez les enseignants, ce chiffre est moindre mais il concerne tout de même 31 % des 678 sondés. Bien que cela réduise fortement le panel, nous avons choisi de miser sur le qualitatif et de ne conserver que les questionnaires complets, soit 742 élèves et 468 enseignants.
Nombre d’élèves sondés par niveau de classe
Chez les élèves, les participants sont assez régulièrement répartis entre les 5 niveaux visés, de la Quatrième à la Terminale. Nous avions également ouvert le sondage aux élèves en Brevet de Technicien Supérieur (BTS) et en Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles (CPGE) mais devant le faible nombre de participants (3), nous avons considéré que ce n’était pas représentatif et nous avons choisi d’ignorer leurs résultats.
Répartition des sondés au sondage enseignants par type d’établissement
Du côté des enseignants, nous avons autorisé des réponses multiples quant aux établissements d’exercice. En effet, les enseignants peuvent être contractuel.le.s, titulaires sur zone de remplacements (TZR) ou encore assignés sur des blocs de moyens provisoires (BMP) couplés entre plusieurs établissements. Dans les résultats obtenus, on observe une répartition homogène entre les participants exerçant en collège et en lycée :
Nous précisons toutefois que, de par le côté anonyme du questionnaire, il nous est impossible de savoir si la répartition des participants dans l’académie est homogène ou si certains établissements sont surreprésentés.
Par ailleurs, la diversité des profils dans la communauté enseignante fait qu’il n’y a pas forcément de corrélation directe entre l’âge et l’ancienneté dans l’éducation nationale, c’est pourquoi nous avons fait le choix de demander les deux. On peut observer que la répartition des sondés par tranche d’âge correspond à la répartition des enseignants du second degré selon les chiffres de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) [3]. Cela confirme que, sur ce critère, notre panel est représentatif de la communauté enseignante.
A gauche : comparatif entre la proportion par tranche d’âge dans les participants au sondage et dans l’ensemble des enseignants en France / A droite : proportion par ancienneté dans l’éducation nationale des participants au sondage.
En ce qui concerne les disciplines des sondés, nous observons assez logiquement une prépondérance des professeurs documentalistes qui représentent 28 % des sondés, ce qui s’explique notamment par leur rôle de relai dans la transmission de ce sondage. Cela ne s’avère pas gênant pour notre analyse, mais rend au contraire possible un focus intéressant sur notre profession sur certaines questions.
Sur le reste des participants, le panel s’avère encore relativement représentatif si on le compare avec la répartition des enseignants dans les principaux groupes de disciplines [4].
Comparatif entre la proportion par discipline dans les participants au sondage et dans l’ensemble des enseignants en France
On peut tout de même noter que certaines disciplines comme l’EPS, l’économie-gestion et, plus étonnement, la Technologie sont légèrement sous-représentées parmi les sondés.
IV - Synthèse du sondage auprès des élèves
Connaissance des IAGT par les élèves
Le sondage met clairement en évidence que les IAGT sont bien connues des élèves (96 %), mais cela semble encore prématuré de dire que les IAGT sont pleinement ancrées dans les pratiques des élèves puisque « seulement » 62 % ont déclaré les utiliser ou les avoir déjà utilisées. Outre ChatGPT qui est le plus souvent identifié par les élèves, d’autres noms reviennent régulièrement (Bard - désormais Gemini - de Google, My AI Snap de Meta, Copilot de Microsoft).
Ces résultats n’ont rien de surprenant dans un contexte de démocratisation de l’IAGT par l’entreprise OpenAI depuis 2023. Ces outils sont connus des élèves, les IAGT ne sont plus de l’ordre de la science-fiction, une formation à une utilisation responsable s’impose.
Usages des IAGT par les élèves
Fréquence d’utilisation des IAGT par les élèves
On peut voir que malgré une forte connaissance des IAGT, nos élèves ne les utilisent pas de manière si régulière que ce que l’on pourrait imaginer dans leurs pratiques. Cela laisse penser à un manque d’habitude ou d’expérience dans leurs utilisations de cet outil. Rappelons tout de même que l’IAGT n’en est qu’à ses débuts et présente une courbe d’utilisation exponentielle. Ces chiffres seront donc très rapidement dépassés dans les mois à venir. La communauté éducative devra donc prendre en compte cette évolution dès à présent.
En croisant les résultats concernant les usages des élèves, on constate que la fréquence moyenne d’utilisation d’une IAGT est globalement constante entre la 3° et la Terminale, avec un usage qui s’intensifie tout de même en fin de lycée. Une partie des élèves qui déclaraient l’utiliser « parfois » bascule dans la catégorie « souvent ». Peut-être peut-on l’expliquer par une question de maturité et de quantité de travail à fournir dans les niveaux à examen.
Rapport entre le niveau de classe et les usages de l’IA générative (en %)
Dans leurs utilisations liées à l’école, la recherche d’informations prédomine et reste constante au fil des années jusqu’en Terminale. Il s’agit d’un axe de travail prioritaire dans l’élaboration de nos interventions auprès des élèves notamment sur la question des sources utilisées par les IAGT pour fournir leur réponse.
Les résultats de ce sondage permettent de mettre en avant que les usages évoluent avec l’âge. Si la recherche d’informations est l’usage principal tous niveaux confondus, les collégiens (4°, 3°) l’utilisent ensuite principalement pour s’amuser alors que, pour les élèves de Terminale, cette utilisation ludique de l’outil arrive en dernière position.
La création de texte ou la modification s’intensifie au lycée et plus particulièrement chez les élèves de Terminale, qui ont une utilisation plus importante sur des tâches plus complexes création/modification/amélioration de texte.
Avantages et défauts des IAGT pour les élèves
Principaux avantages et défauts des IAGT selon les élèves
Pour une majorité des élèves interrogés, l’IAGT leur permet de gagner du temps (77 %), d’un autre côté, seulement 28 % déclarent le faire par paresse. Le deuxième avantage identifié par les élèves est le fait de pouvoir améliorer son travail grâce à l’IAGT (56 %).
Une grande majorité des élèves interrogés ne rencontrent pas de difficultés à utiliser l’IAGT puisque seulement 8 % disent trouver cela trop compliqué. Néanmoins, 32 % d’entre eux disent que les réponses ne leur conviennent pas. La question qui se pose est de savoir si c’est lié à des difficultés à comprendre comment utiliser l’IAGT de manière efficace. Ce qui serait quelque peu contradictoire avec les résultats précédents.
Par ailleurs, 62 % d’entre eux expriment le fait que les réponses peuvent contenir des erreurs, phénomène encore plus marqué chez les lycéens avec environ 70 % contre 50 % en moyenne chez les collégiens.
Enfin, 47 % d’entre eux ont peur d’être accusés de tricherie s’ils utilisent l’IAGT.
Confiance dans l’IAGT
Concernant les devoirs, environ 60 % des élèves (tous niveaux confondus) déclarent avoir globalement confiance en l’IAGT pour faire leurs devoirs, mais ils ne sont plus que 28 % à garder confiance pour une recherche d’informations.
Si une moyenne de 72 % (tous niveaux confondus) déclaraient chercher des informations avec l’IAGT, ils sont tout autant à ne pas avoir une totale confiance dans les résultats obtenus (indifférent, plutôt pas et absolument pas confiance).
Usages pour lesquels les élèves ont plutôt ou totalement confiance dans l’IA
Ces résultats nous permettent de lancer quelques pistes de réflexion que nous pourrons vérifier l’année prochaine lors de nos expérimentations. Par exemple, pourquoi deux fois plus d’élèves font-ils confiance à l’IAGT pour leurs devoirs en comparaison à la recherche d’informations ? Est-ce une question de facilité ? Ou bien de formation à l’outil et donc de non maîtrise ?
V - Synthèse du sondage auprès des enseignants
Connaissance des IAGT par les enseignants
Ces derniers mois, difficile de passer à côté des échanges autour des IAGT. Par conséquent, 97,5 % des enseignants en ont déjà entendu parler voire en ont testé. La proportion s’élève à 99 % chez les professeurs documentalistes, ce qui n’est guère étonnant puisque cette thématique était proposée de manière optionnelle dans les réunions de bassins.
Pour autant, seuls 50 % des enseignants de collège se déclarent plutôt ou totalement familiarisés avec le terme d’intelligence artificielle, une proportion qui augmente légèrement en lycée (56 %) et de manière plus prononcée chez les enseignants exerçant dans le supérieur (73 %). Les enseignants totalement familiarisés avec la notion constituent même une toute petite minorité (12 % en lycée, à peine la moitié en collège), sans d’ailleurs que cette proportion ne soit plus importante chez les professeurs documentalistes. Un besoin de formation se fait donc ressentir au sein de la profession.
Si on analyse les verbatims dont vous avez une représentation ci-dessous sous forme d’un nuage de mots, les enseignants interrogés savent définir correctement l’IA générative, son fonctionnement et utilisent les termes techniques (prompt, machine et deep learning). On voit apparaître également, dès cette question, des jugements négatifs par rapport à cette technologie qui se substituerait au besoin de réfléchir et de travailler.
Verbatims de la question « Avec vos mots, expliquez ce qu’est une IAGT »
En affinant les résultats, on observe que les enseignants les plus jeunes (moins de 30 ans) se disent plus familiarisés avec la notion d’IA (63 % contre 47 % des 40 ans et plus) et sont plus nombreux à déclarer avoir déjà testé des IAGT (64 % contre 46 % des 40 ans et plus). Pour autant, on remarque que les enseignants qui utilisent les IAGT dans un cadre scolaire ne sont pas majoritairement les néo-entrants dans le métier, mais plutôt ceux dont l’ancienneté dans l’éducation nationale est comprise entre 5 et 10 ans, peut être le signe qu’il faut se sentir un peu aguerri avant de s’autoriser à utiliser ces outils avec les élèves.
Constat par les enseignants d’usage des IAGT par les élèves
Le constat de l’usage des IAGT par les élèves n’est pas nouveau et alimente depuis quelques mois les discussions en salle des professeurs et les articles dans les médias. Néanmoins, sans sondage à grande échelle, il était difficile de cerner l’ampleur de cette pratique.
Le résultat est sans appel : plus de la moitié des enseignants ayant répondu à notre sondage ont constaté l’utilisation d’IAGT par leurs élèves. Cette proportion s’élève même à près de 70 % chez les enseignants de LGT ! Si ce nombre paraît très élevé, il faut néanmoins le modérer : ce n’est pas parce qu’un enseignant a observé une fois l’usage d’une IAGT par un élève dans un devoir qu’une utilisation systématique en est faite par tous les élèves.
Pour préciser cette observation, l’analyse des verbatims montre que les usages constatés sont le plus souvent une substitution à un travail personnel de l’élève qui se sert de l’IAGT pour faire le travail demandé (rédaction, exposé, traduction, oral de langue, fiche de lecture, bloc de code, et même mots d’excuses) sans fournir un effort personnel.
Verbatims de la question « Quelles utilisations d’IAGT par les élèves avez-vous constatées ? »
Des observations spécifiquement liées à des recherches d’informations sont relevées par une vingtaine d’enseignants (majoritairement des professeurs documentalistes).
Usages des IAGT par les enseignants
Fréquence d’utilisation des IAGT par les enseignants
En ce qui concerne les usages des IAGT par les enseignants, on observe que 3 tendances se dessinent :
- Une petite moitié (47 %) ne s’en sert jamais et n’envisage d’ailleurs pas de le faire. Cette proportion est plus élevée chez les enseignants de collège (49 %) que chez les enseignants du supérieur (42 %) et de LP (33 %) ;
- A l’inverse, une très petite minorité s’en sert de manière fréquente voire systématique (4 %), avec là encore une proéminence d’usage chez les enseignants de lycée et du supérieur ;
- Le reste des enseignants (49 %) a commencé à s’en servir de manière occasionnelle ou envisage de le faire.
Parmi les suggestions de réponses faites aux enseignants dans le sondage, nous observons que l’aide à la préparation des cours (36 % des enseignants) ou à la rédaction d’un document de travail (32 %) est privilégiée à la correction de devoirs (seulement 9 % des enseignants).
En approfondissant grâce aux verbatims, on observe que les usages de l’IAGT par les enseignants sont extrêmement variés : rédaction ou reformulation d’appréciation de bulletin, rédaction de rapport d’incident, génération de code, création d’escape game, travail sur les sources, etc.
Il est intéressant d’observer qu’un tiers des enseignants déclarent faire (ou vouloir faire) utiliser les IAGT aux élèves, et cette proportion monte même à 59 % chez les professeurs documentalistes. Il y a donc une véritable volonté dans notre profession de s’emparer de ces outils dans un cadre pédagogique.
Avantages et défauts des IAGT pour les enseignants
Principaux avantages et défauts des IAGT selon les élèves
Comme pour les élèves, l’avantage majeur des IAGT pour les enseignants est le gain de temps (même si les enseignants de LGT – 47 % - en sont moins convaincus que les enseignants de collège – 62 %), ainsi que l’aide à la répétition des tâches.
Du côté des inconvénients, les principales inquiétudes proviennent des erreurs contenues dans les réponses des IAGT et de la collecte de données personnelles. De manière assez naturelle, ces craintes sont même encore plus prégnantes chez les professeurs documentalistes (75 % pour les erreurs dans les réponses et 57 % pour l’inquiétude sur l’utilisation des données). A noter que la complexité d’utilisation n’est pas un frein à l’utilisation des IAGT (seuls 9 % le perçoivent ainsi).
Enfin, à travers les verbatims, on voit que les enseignants présentent un certain nombre d’avantages notables : plutôt que subir l’IA, on peut l’intégrer comme un support de travail pour développer l’esprit critique des élèves (sources, évaluation de l’information par exemple), s’en servir comme appui pour développer des compétences rédactionnelles et comme aide aux élèves en difficulté ou pour accompagner des élèves à besoins particuliers.
Verbatims de la question « Quels avantages voyez-vous dans l’utilisation des IAGT par les élèves ? »
Les inconvénients majeurs soulignés sont, eux, liés à une utilisation non raisonnée de l’IA des élèves, qui devient un moyen de se reposer complètement sur cette technologie en annihilant tout travail et réflexion personnels.
Verbatims de la question « Quels inconvénients voyez-vous dans l’utilisation des IAGT par les élèves ? »
Conclusion et perspectives de travail pour cette année
Chaque sondage comporte des biais et celui-ci n’échappe certainement pas à la règle, néanmoins nous espérons avoir esquissé quelques grandes lignes d’un état des lieux sur les connaissances, usages et représentations des IAGT par les élèves et les enseignants.
Comme nous pouvions nous y attendre, sans encore en avoir la confirmation, nos élèves sont presque tous au fait de l’existence des IAGT, et en premier lieu de ChatGPT. Même si leur utilisation reste marginale, elle augmente significativement avec l’âge des élèves jusqu’à atteindre presque 1/4 d’utilisateurs réguliers chez les Terminale. Plus l’âge des élèves augmente, plus les usages récréatifs diminuent au profit d’une aide à la rédaction et à la reformulation de textes. Les élèves sont également nombreux à utiliser les IAG pour rechercher des informations, bien que leur confiance en ces outils soit très limitée.
Les enseignants ont, eux aussi, pris conscience de l’existence des IAGT mais, pour autant, nombreux sont ceux qui ne se sentent pas encore familiarisés avec la notion d’intelligence artificielle et/ou qui souhaiteraient utiliser ces outils sans encore avoir franchi le pas. Les enseignants de LGT semblent un peu plus aguerris à leur utilisation, peut-être parce que 70 % d’entre eux ont déjà constaté l’usage d’IAGT par leurs élèves.
L’observation de cet usage, déjà ancré dans les pratiques, engage une partie des enseignants à faire utiliser les IAGT aux élèves. Cette volonté de s’emparer de ces outils dans un cadre pédagogique est d’ailleurs plus importante que la moyenne chez les professeurs documentalistes, tout comme il ressort que les professeurs documentalistes sont davantage focalisés sur les erreurs dans les réponses des IAGT et l’utilisation faite des données collectées. Rien d’étonnant pour une profession habituée à effectuer avec les élèves un travail régulier sur l’évaluation de l’information, la fiabilité des sources ou encore la protection des données personnelles.
Pour que les professeurs documentalistes (et les autres) puissent transposer ces thématiques de travail en lien avec les IAGT, il est nécessaire dans un premier temps de répondre au besoin de formation que nous avons constaté. De nombreuses initiatives se mettent en place dans l’académie de Versailles avec des groupes de travail sur l’IA, l’ouverture d’un site spécifique, le lancement de formations transversales au Plan Académique de Formation 2024-2025 et, plus spécifiquement pour les professeurs documentalistes, une formation sous forme de thématique obligatoire dans les réunions de bassin.
En tant que groupe d’expérimentation pédagogique, notre rôle est également de prendre les devants pour proposer des séquences pédagogiques intégrant des IAGT notamment dans un contexte de recherche d’information pour permettre aux élèves de vérifier les résultats obtenus et de porter un regard critique. Cela devrait être fait sans omettre de former également les élèves au fonctionnement des IAGT afin de démystifier leur prétendue « intelligence » qui n’est que le résultat d’un anthropomorphisme à outrance.
Le GEP Documentation de l’académie de Versailles 2023-2024 : Nathalie Chêne, Florian Cool, Bénédicte Doukhan, Delphine Eyffert, Caroline Hernandez, Maxime Houdayer et Ervan Roussel